Matt Damon dans Promised Land de Gus Van Sant |
Steve Butler, représentant d’un grand groupe énergétique, se rend avec Sue Thomason dans une petite ville de campagne. Les deux collègues sont convaincus qu’à cause de la crise économique qui sévit, les habitants ne pourront pas refuser leur lucrative proposition de forer leurs terres pour exploiter les ressources énergétiques qu’elles renferment. Les choses ne vont pas se passer aussi facilement alors qu'un enseignant respecté critique le projet et qu'un activiste écologiste va affronter Steve aussi bien sur le plan professionnel que personnel…Alors que le parti pris du réalisateur est plus intimiste que politique ou économique et social, il fait néanmoins écho à quelques discussions récentes que j'ai pu avoir avec quelques amis saabistes, inquiets avec raison peut-être de l'avenir de Saab à Trollhättan. C'est un édito un peu atypique et surtout très long où j'évoque de façon plus approfondie une approche économique au-delà de Saab et du secteur de l'automobile. C'est peut-être un peu technique, j'ai essayé de simplifier beaucoup. Passez au post suivant si vous êtes fatigués là ;)
L'exploitation du gaz de schiste aux
États-Unis constitue actuellement l'un des leviers les plus
puissants pour faire repartir l'économie du pays pour les 10
prochaines années selon certains analystes. Je ne vais pas ouvrir le
débat du « pour ou contre » car ce n'est pas ici ce qui
m'intéresse. Dans le film de Van Sant – et dans la réalité – nous assistons
aux États-Unis à une nouvelle « ruée vers l'or » -
aujourd'hui c'est le gaz de schiste – dans des zones que l'industrie a désertées et où les gens survivent avec l'agriculture et des
aides d’État surtout. La question des ressources naturelles comme
puissance de feu économique dans des pays de plus en plus
désindustrialisés se pose avec une acuité particulière. En
négatif, par contraste, en l'absence de ressources naturelles, on
doit pouvoir comprendre les opportunités et les menaces que
constitue la délocalisation des outils de production dans
l'automobile. Une autre ressource ne doit cependant pas être oubliée...
Je vais faire un très long excursus
économique maintenant, avant d'essayer de retomber sur mes pieds en
gardant à l'esprit une question : NEVS, le repreneur des actifs
de Saab, va-t-il délocaliser les productions en Chine ?
Pourquoi la croissance de la valeur
ajoutée, les fameux « points de croissance de PIB »,
est-elle un indicateur si important pour notre quotidien ?
La valeur ajoutée, c'est, comme son
nom l'indique, la valeur d'un travail (intellectuel, artisanal,
industriel ou commercial) ajoutée au produit vendu, au chiffre
d'affaires. Elle est égale au produit des ventes de biens et
services moins les achats de matières premières, de composants
intermédiaires, les charges courantes et la
sous-traitance. La valeur ajoutée doit être suffisante pour payer
ensuite les salaires, amortir les investissements et enfin générer
une capacité d'autofinancement pour financer les futurs développements.
Pour simplifier ici, je vais sortir des
normes comptables: j'utiliserai l'expression « matière
première » à la fois pour désigner la matière première (pétrole,
acier, etc.) stricto sensu, mais aussi les composants
intermédiaires (une pièce achetée à un tiers et que j'utilise
pour mon produit final), le « savoir-faire » (qui
est inclus en principe dans les salaires et non dans la valeur
ajoutée) et même l'argent car, même si cela n'a rien à
voir avec ma production, il est certain que l'argent dont je dispose
(par autofinancement ou dette) a un effet de levier s'il est investi
en actif productif mais aussi un coût qui varie et que doit aussi
couvrir la valeur ajoutée que j'espère dégager – l'industrie est
gourmande de « savoir-faire » et de liquidités.
Si votre ratio valeur ajoutée/produit
est faible, toute augmentation du prix de vos matières premières –
que cette matière première s'appelle donc l'argent (la dette a bien
sûr un effet de levier), le pétrole, l'agriculture, le savoir-faire
(savoir technologique et main d’œuvre), etc. – va ralentir
mécaniquement votre capacité à investir. Or aucune matière
première n'a un prix fixe. Tout est question d'offre et de demande.
Si le prix de la matière première augmente, cela a des conséquences
mécaniques sur l'emploi, le pouvoir d'achat et la demande
intérieure.
Étant donné l'interdépendance de
l'économie avec une quantité de paramètres extérieurs à
l'économie elle-même, le taux de croissance 0 n'existe pas en
réalité : soit on monte, soit on descend. A la rigueur on
lisse le tout avec de la dette – ce que fait le Japon – pour
éviter la décroissance. Tout est spirale, ascendante ou
descendante. On peut bien lutter empiriquement contre les bulles de
croissance pour éviter les chutes mais, fondamentalement, c'est
contraire au principe même de l'économie. Un secteur a le vent en
poupe, il attire les capitaux, les financiers revendent les capitaux
de plus en plus chers, chacun prend sa valeur ajoutée au passage et
ça monte, ça monte, ça monte. Et quand un jour le doute survient,
ça repart en sens inverse et ça fait mal car dans la chaîne
économique, il y a les gros qui ont les moyens d'anticiper et les
petits qui ne voient rien venir et se prennent le mur. C'est
injuste ? Oui. Si on peut lutter contre les inégalités
économiques a posteriori, a priori ce n'est pas possible, sauf à
supprimer la liberté économique...
Bref, pour conclure rapidement ce
premier point, ce qui compte pour une région ou un secteur
économique donnés, c'est sa capacité à s'enrichir, à ajouter de
la valeur à ce qu'elle vend pour non seulement rémunérer
socialement le travail mais aussi générer une rentabilité finale
suffisante pour pouvoir réinvestir ensuite.
Pour ajouter de la valeur,
il n'y a pas 36 solutions ! Soit vous êtes assis sur un tas
d'or et vous venez de le découvrir, soit vous avez de l'imagination
et vous créez un nouveau produit ou service que tout le monde veut ; éventuellement vous réduisez au passage le plus possible vos coûts de production et
misez sur des volumes de production très importants pour compenser
un ratio valeur ajoutée/produit faible.
Quand vous avez du pétrole comme la
Norvège, ça simplifie beaucoup les choses. Quand vous n'avez pas de
matière première en quantité suffisante pour faire de la
croissance, c'est très simple, il faut que vous ayez un savoir-faire
qui s'exporte sinon je ne vois pas comment une région peut
s'enrichir à long terme si elle tourne en circuit fermé ! Les
pays qui ont la matière première (pétrole, gaz, capitaux,
haute-technologie) et dont vous avez besoin pour produire
votre produit génial-que-tout-le-monde-veut-acheter vont vous fournir.
Vous vendrez ensuite vos produits finis/services et vous prendrez
votre ajout de valeur en caisse pour 1° vivre le présent (=
consommer) et 2° prévoir le futur (=investir ou épargner).
[Petite parenthèse ici, la dette
financière (celle des États ou des ménages) n'est pas un problème
en soi quand elle finance le futur : une dette d'investissement,
si l'investissement n'est pas trop risqué, est une dette saine si le
coût de la dette est inférieur à la valeur ajoutée du produit de
l'investissement (que ce soit un produit fini ou un placement
d'ailleurs). Une dette qui finance la consommation courante (que ce
soit la dette de la Sécurité sociale ou le crédit revolving) n'a
pas vocation à durer au-delà d'un cycle économique : elle
peut stimuler l'économie provisoirement mais ne génère pas à elle
seule l'achat d'actifs sources de plus-value]
Le problème n'est pas d'acheter la
matière première (pétrole, agriculture, argent ou savoir-faire)
chère ou pas chère, aux chinois ou aux allemands ou chez nous... Le
problème est de pouvoir ajouter suffisamment de valeur à cette
matière première pour pouvoir - je me répète - 1° vivre (suppose donc un train de
vie corrélé au pouvoir économique) et 2° prévoir (anticiper les
marchés en investissant ou en capitalisant selon les cycles). Si ce
n'est pas le cas, outre la réduction de voilure qui s'impose de bon
sens (réduction des coûts), on doit veiller à ce que la valeur ajoutée produite ne parte
pas ailleurs; on peut par exemple taxer les importations de produits ne
générant pas de valeur ajoutée chez nous et qui ne sont pas de
première nécessité. Attention toutefois à ne pas vexer des pays
dans lesquels nous exportons beaucoup (les Allemands ne sont qu'à
moitié rassurés par la taxation des panneaux solaires chinois que
veut l'UE parce que la Chine représente un grand marché pour leur secteur automobile). En affaires, on ne peut pas vouloir le beurre et
l'argent du beurre. Si je taxe les importations, il vaut mieux le
faire avec des pays qui n'achètent pas trop mes produits ou qui ne
me vendent pas des matières premières « vitales » sinon
on peut s'attendre au retour de bâton... A moins que... je m'unisse
avec d'autres pays, par exemple dans un cadre régional plus large
pour peser plus lourd, ce qui est (était?) la vocation de l'Union
Européenne et qui, selon moi, est la seule voie possible pour que
nous puissions négocier avec les grands, à condition d'avoir enfin
un gouvernement économique commun, ce qui est très loin d'être le
cas. A part l'Allemagne, tous les pays de l'Union Européenne ont une balance commerciale déficitaire avec la Chine...
Quand vous n'avez pas de ressources
naturelles en quantités suffisantes pour alimenter la machine
économique, l'exportation est incontournable pour enrichir le pays.
Mais encore une fois, il s'agit de faire de la valeur ajoutée
en exportant. Si mon prix de produit à l'export me coûte 50 en
matières premières ou composants importés et 10 en
charges d'exploitation, il ne me reste que 40 en valeur ajoutée.
Dans cette vision partagée par la plupart des gouvernements
occidentaux, l'exportation de services a le vent en poupe vu son ratio de valeur ajoutée/produit vendu naturellement très élevé. Au point qu'on oublie parfois que beaucoup de services sont incorporés dans la chaîne
industrielle (design, ingénierie, marketing, logistique, etc.) elle-même.
Revenons maintenant à
Trollhättan...
Depuis la faillite de Saab Automobile
AB (décembre 2011), cette ville suédoise de 55.000 habitants a un
taux de chômage qui dépasse les 16%, ce qui est beaucoup pour la
Suède.
Avec le recul que nous avons
aujourd'hui (vu le silence radio de NEVS nous "offre" pour cogiter), on peut se demander
finalement quelle est la matière première dont Saab a manqué le
plus pour qu'on en arrive là (alors que nous sommes tous encore
à admirer les produits de cette marque): Saab a-t-elle manqué
d'argent ?
- Oui à court terme, pour éponger les pertes, les liquidités n'étaient plus là. Mais pourquoi ?
- Dans un secteur éminemment concurrentiel où le coût du travail et l'import de composants bon marchés restent une donnée importante (la valeur ajoutée est faible par rapport au coût du travail et à celui de la distribution), ce qui a surtout fait défaut à Saab, c'est une vraie stratégie de marchés pour valider un business plan et attirer les énormes capitaux nécessaires au fond de roulement... Aucun financier n'est assez fou pour aller verser à flots des milliards dans une industrie fortement concurrencée qui vend un produit à valeur ajoutée très faible, avec des composants pour beaucoup importés et un business plan obscur au regard des chances de succès commercial et dépourvu d'une analyse suffisamment fine sur les échecs commerciaux passés.
- Oui à court terme, pour éponger les pertes, les liquidités n'étaient plus là. Mais pourquoi ?
- Dans un secteur éminemment concurrentiel où le coût du travail et l'import de composants bon marchés restent une donnée importante (la valeur ajoutée est faible par rapport au coût du travail et à celui de la distribution), ce qui a surtout fait défaut à Saab, c'est une vraie stratégie de marchés pour valider un business plan et attirer les énormes capitaux nécessaires au fond de roulement... Aucun financier n'est assez fou pour aller verser à flots des milliards dans une industrie fortement concurrencée qui vend un produit à valeur ajoutée très faible, avec des composants pour beaucoup importés et un business plan obscur au regard des chances de succès commercial et dépourvu d'une analyse suffisamment fine sur les échecs commerciaux passés.
Pour que Saab sorte du lot (des
constructeurs généralistes semi-premium), il fallait soit s'orienter
complètement sur le luxe où la valeur ajoutée est plus élevée
par produit vendu, soit s'ouvrir d'urgence sur des marchés à fort
potentiel de croissance comme... la Chine pour monter en volume et
surtout abaisser de façon drastique les coûts de production :
est-ce que Jan-Ake Jonsson et Victor Muller avaient bien cerné ces
problèmes ? Sans aucun doute mais General Motors avait ficelé
les choses de façon à ce que Spyker ne puisse pas rebondir sur
le rachat de Saab: un actif clé était resté entre les mains de la société américaine nationalisée, à savoir les licences des plateformes 9-5NG et 9-4X et de toutes les motorisations.
Pour que Saab puisse s'en sortir
économiquement avant sa faillite en 2011, il aurait fallu quelques années avant déjà: 1° revoir la stratégie produit et/ou
de marchés (question de la valeur ajoutée) et 2° s'attaquer aux coûts
de production (encore question de la valeur ajoutée). Pour cela, Spyker a
manqué d'un capital vital : les licences technologiques qui
étaient l'or noir capable d'attirer facilement des partenaires financiers
à même d'aider Saab enfin sur le volet financier. Au-delà de Saab,
au-delà de la valeur ajoutée manquante, le véritable enjeu était,
on l'a bien vu, le « savoir-faire » dont une bonne part
(les licences) avait été juridiquement gardée par
l'Américain, mais non pas tout puisque les ingénieurs de Trollhättan n'étaient pas sous licence GM!
L'analyse du gouvernement suédois fut basiquement thatchérienne : pas de valeur ajoutée
suffisante donc je ne m'endette pas pour le secteur de l'automobile.
Et elle fut simpliste (a-t-il fait la somme des valeurs ajoutées
induites dans le secteur par la présence de Saab?) à ce point-là
puisque le gouvernement suédois pouvait s'appuyer sur les chiffres
positifs d'autres secteurs économiques qui apportaient les points de
croissance nécessaires pour assumer le coût social de
cette désindustrialisation et du chômage.
Pourtant, dans la vente des actifs de
Saab aux Chinois (même si l'habillage d'un consortium sino-suédois
veut nuancer le propos), c'est une « matière première »
et rien d'autre que sont venus chercher les nouveaux gérants du site
de Trollhättan, cela ne fait aucun doute : le « savoir-faire »,
l'usine clé en main, constituaient pour eux une mine d'or dans la
mesure où ils avaient un marché chez eux mais pas encore assez de
savoir-faire pour produire seuls les voitures de demain. L'intérêt
de la Chine sur ce marché en pleine croissance n'est-il pas de
limiter la fuite de la valeur ajoutée vers l'Allemagne et les
Etats-Unis ? Non seulement la demande intérieure chinoise est
forte mais elle pourrait être plus rapidement satisfaite si les Chinois devenaient capables d'exporter des voitures au standard
européen. L'intérêt des hommes d'affaires à la tête de NEVS se
situent entre d'un côté son bras armé financier (l’État
chinois) et de l'autre son « puits de pétrole »
(l'ingénierie protégée par le gouvernement suédois).
A ce jour, nous attendons encore les
annonces de NEVS concernant l'ancien réseau de distribution
américain et européen de Saab ou bien le rachat de Saab Parts ou
encore la production à destination de nos pays. Pas besoin de
preuves supplémentaires : l'ancien fonds de commerce de Saab n'intéressait pas du tout NEVS, le repreneur des actifs de Saab! Et pour tout dire, je ne
suis même pas sûr qu'il soit inquiet à l'idée de perdre le nom de
la marque « Saab » si jamais il décidait de tout
relocaliser en Chine ou de vendre ses actifs à constructeur chinois
déjà implanté là-bas (en faisant une bonne plus-value bien sûr).
C'est en tous cas une question qu'on peut se poser légitimement même
si, pour l'heure, NEVS fait attention à ne froisser personne.
Or il semble que le gouvernement
suédois ait compris enfin que l'enjeu de Saab n'était pas seulement une
question de valeur ajoutée ou de licences technologiques mais aussi
de ressources en « savoir-faire », en capacité de développement de nouvelles technologies. Après
tout les licences GM ne vaudront plus grand chose dans 5 ans. Cela
explique-t-il en partie les raisons du déplacement récent du
Ministre de l'Entreprise suédois en Chine, aux côtés de NEVS ?
C'est plus que probable. Les conditions mises à l'exploitation de la
marque Saab sous réserve de maintenir un site de production en Suède
ne suffisent pas et c'est maintenant que la Suède essaye de profiter
de sa supériorité technologique pour la négocier sur un long-terme
avec les Chinois, pays vers lequel ils exportent peu.
Certains habitants de Trollhättan
redoutent aussi que la technologie partent en Chine avec la
production. Il y a un passé désormais à Trollhättan, un temps qui
n'est plus et une menace qu'à moyen terme ce temps ne revienne plus
comme avant, principalement donc pour des raisons de marchés et de
valeur ajoutée insuffisante par rapport au niveau de vie suédois et
aux contraintes de capitaux nécessaires à l'industrie automobile.
Plus étranges et contradictoires à mes
yeux sont les propos, lus ici ou là, de saabistes suédois qui écrivent redouter l'impérialisme
économique chinois et militer pour une commercialisation de Saab à
bas prix, à Trollhättan bien sûr, par des travailleurs suédois
donc... Quel non-sens par rapport à tout ce qui précède, non? Il n'y a pas l'ombre d'un réalisme économique et commercial dans
ces vœux pieux. La situation a été et reste suffisamment difficile
à ce point pour qu'on évite désormais d'entretenir des mirages.
Si NEVS a bien identifié au-moins un
marché – les volumes restent finalement à confirmer – c'est
celui des véhicules électriques en Chine. La matière première que sont venus chercher les Chinois, c'est
l'ingénierie à Trollhättan mais... Qu'on s'inquiète un peu car, dans
ce domaine, certains investisseurs ont déjà construit en Chine (je
pense à GM-SAIC) des sites de R et D. Alors de deux choses l'une :
soit le produit Saab va être vraiment dans le haut du panier avec
une technologie plus avancée que ses concurrents, soit la production
sera relocalisée en Chine au-moins pour le marché chinois sans
quoi, quel intérêt pour NEVS de produire avec une valeur ajoutée
plus faible que ses concurrents et avec des volumes plus faibles que
ses concurrents? Quoiqu'il en soit, en aucun cas, le modèle de
production de Saab bas de gamme à Trollhättan n'a le moindre avenir
économique et encore moins s'il était exporté vers la Chine.
Essayer de nous convaincre du contraire, c'est prendre des vessies
pour des lanternes ! Une petite Saab citadine premium serait
plus à même de reconquérir les cœurs en Occident qu'une berline
familiale bas-de-gamme: Kia-Hyundai-Chevrolet-Qoros-Skoda n'en
feraient qu'une bouchée ! Rappelons aussi qu'une nouvelle marque comme Qoros (Israëlo-chinoise) va débarquer avec 7 modèles en portefeuille d'ici 2015, rien que ça! Rappelons que même dans le haut de gamme électrique, Tesla Motors n'a
pas encore un modèle économique rentable malgré son chiffre
d'affaire en phase de take-off. Rappelons enfin qu'investir dans un
réseau de distribution coûte plus cher que la R et D des véhicules.
Pour l'heure, aucun réseau de distribution privé n'a encore été
établi par NEVS, même pas en Chine. Certes, NEVS dit ne pas avoir
encore le produit prêt et prendre contact avec des distributeurs - ça ne coûte rien de le dire... Bref, c'est pas avec la production d'une voiture low-cost par des travailleurs suédois qu'on va faire de la valeur ajoutée.
Dès lors que NEVS sera capable de
rentabiliser ses efforts de R et D sur le marché chinois en
relocalisant sa production là-bas bien entendu, dès lors que le
gouvernement suédois veillera très attentivement à ce que les
licences technologiques restent dans le giron du droit des affaires
suédois alors Trollhättan pourra entendre à nouveau le son des
machines à toute vapeur pour la production de Saab à destination du
marché européen et peut-être américain. Cela n'est pas encore
fait, certes, mais dès maintenant il faut se résoudre à ce que le
salut de Saab passe par la Chine. Désormais la mission du
gouvernement suédois est de faire fructifier ses ressources propres,
et le seul capital qui ait jamais intéressé les Chinois, c'est le
savoir-faire. C'est une mission délicate pour la Suède car elle
devra tenir compte des échanges commerciaux avec la Chine. Pour
l'heure, s'il est difficile d'envisager la viabilité économique
d'une production de voitures à Trollhättan c'est aussi parce que
les suédois ont fait le choix post-industriel de ne pas abandonner
leur niveau de vie en préservant la valeur ajoutée de leur
économie, quitte à indemniser le chômage conjoncturel. Nous
connaissons en France les mêmes problèmes : PSA a du retard en
Chine et le positionnement de sa gamme européenne est en concurrence
frontale avec les fabricants coréens, des sites vont fermer et il y
aura sans aucun doute bien plus de 30.000 licenciements en jeu dans
les toutes prochaines années. Mais notre capacité à appréhender
les marchés étrangers, notre force de vente et notre
ingénierie sont nettement plus en avance qu'en Chine : « adapt
or die »! Les suédois, eux, sont réputés pour avoir une capacité
de résilience plus grande qu'ailleurs. Trollhättan s'en sortira et
très bien j'en suis sûr.
La Chine capitalise notamment sur l'une
de ses matières premières : la main d’œuvre corvéable en
abondance. Elle commence à générer une forte croissance de demande intérieure mais en même temps cette croissance génère des défis
sociaux et environnementaux immenses qui semblent nettement plus préoccupants que l'enjeu de la technologie. Au contraire nos
économies post-industrielles nous ont permis d'atteindre un tel niveau de vie que
notre enjeu économique se limite principalement à entretenir la supériorité
technologique que nous avons, dans une économie souple et source de haute valeur ajoutée, donc principalement de services ou avec des industriels qui délocalisent au maximum la production manufacturière. A ce titre, l'une des entreprises les plus rentables de la planète (Apple) nous vend des téléphones haut-de-gamme fabriqués en Chine (le coût de production d'un i-phone est d'environ 130€). Le « savoir-faire » de Trollhättan a selon moi encore de beaux jours, en dépit du choc de la faillite de l'ère
économique Spyker-Saab, peut-être pas tant le site industriel que l'ingénierie mais, qui sait précisément ce que nous prépare NEVS?...
Analyse très intéressante, comme toujours. Merci Monsieur Rémi.
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