Tout d'abord, je voudrais dire pourquoi nous n'avons pas écrit d'avantage ces derniers mois...
La première raison est que tout simplement les nouvelles venant de Trollhättan se sont faites plutôt rares et il est difficile de parler à propos d'un constructeur silencieux.
La deuxième raison (qui me concerne peut-être plus personnellement) est qu'il ne m'a tout simplement pas été possible d'adhérer avec enthousiasme au projet de NEVS qui a souhaité publiquement réintroduire la Saab 9-3, version 2011.
Certes, le modèle présenté ne manque pas d’atouts esthétiques et de qualités routières - j'apprécie énormément cette berline que je conduis tous les jours et qui reste nettement au-dessus des voitures récentes à de nombreux points de vue objectifs.
Dans le détail néanmoins, je me suis demandé quelle valeur ajoutée NEVS avait apporté à ce véhicule... Une amélioration de l'insonorisation, des dispositifs de sécurité passagers amélioré via un système nouveau évitant le coup du lapin en cas de choc arrière. Et? Et c'est tout.
En réalité, NEVS a nommé "Aéro", une version sans GPS tactile intégré, sans Hi-fi digne de ce nom et pour clouer le tout, a liquidé ses volants en stock dont les commandes n'étaient pas reliées au mode bluetooth. Bref, incompréhension en ce qui me concerne depuis lors, même si - je l'ai écrit moi-même - ce modèle faisait figure d'entrainement du personnel technique et commercial et devait permettre d'envoyer des modèles de démonstration en Chine. Même pas d'homologation CE piétons, donc série limitée dès le départ à 1000 unités maximum pour la Suède d'ailleurs.
Bref, le doute s'est violemment installé en moi et, je l'avoue, j'ai donc commencé à croire que l'espoir de voir Saab un jour renaître de ses cendres se refermait...
Une troisième raison? Le business model de NEVS m'est apparu à géométrie variable. D'abord, il n'était pas question au moment du rachat des actifs de Saab en 2012 que NEVS fasse venir une ville chinoise (Qingdao) comme associé principal. J'ai d'ailleurs pensé que l'homologation partielle de 9-3 pour la vente en Europe était surtout destinée à satisfaire les conditions du contrat d'utilisation du nom commercial de "Saab" que NEVS avait passé en 2012 avec SAAB AB (obligation de production et commercialisation en Suède). Ensuite, J'ai pensé - comme Swade - que vouloir sortir une Saab électrique sur une plateforme non conçue à cet effet était un non-sens total. Suffit de voir que d'autres constructeurs (Toyota, BMW, Audi, Opel-GM, Tesla, Renault) ont déjà depuis 2 ans mis sur le marché des VE pensés techniquement ab initio comme des VE...
Enfin, la vente de VE ne semble toujours pas décoller en raison des infrastructures (stations de rechange/recharge) qui ne suivent pas au rythme espéré et du cours du pétrole qui s'est stabilisé en raison de la crise. Bref, je ne voyais pas très bien comment NEVS allait s'en sortir économiquement et finalement comment un jour avant ma mort je pourrais acheter une Saab moderne ici, en France...
Sur le silence de NEVS justement...
Il semblerait que le service "Communication" de NEVS se soit réveillé, non? Il a - disons - frappé
très fort! ouaow! Ça c'est du buzz! Yes, NEVS sort de son silence studieux avec une nouvelle fracassante, c'est génial, non?! Non?...
"Nous rencontrons des difficultés de trésorerie à court terme car un de nos actionnaires n'a pas effectué les apports qu'il aurait dû faire. En conséquence, nous allons devoir...".
- Non.
On vous avait dit:
"NEVS parle peu mais ce qu'ils disent, ils le font. Tout est différent maintenant avec eux. Finies chez Saab les annonces business comiques du lundi matin contredites le vendredi".
Ooooops! :-/
Bien. Redevenons sérieux...
Que faut-il penser de ce qui vient de se passer?
Depuis hier, plusieurs nouveaux éléments ont émergé via
Saabsunited, nous pouvons donc vous en parler librement...
1) Qu'a fait NEVS depuis 2 ans?
Il n'est pas pensable de penser que NEVS se soit contenté de faire le ménage dans l'usine de Trollhättan et espérait gagner de l'argent avec les quelques titines vendues en 2014. La remise en marche de la production était un signal médiatique et surtout une nécessité industrielle pour former son personnel. NEVS s'est structurée en vue d'une production de masse à moyen terme. Repartant de zéro, deux ans ont vite passé!
Mais alors pour faire quoi et aller où?
Depuis le début, NEVS a dit que son projet était axé sur les véhicules à motorisation électrique (de façon non exclusive) en utilisant à terme une plateforme dédiée, basée sur l'architecture Phoenix héritée de lère Spyker, avec le marché chinois pour cible et, à terme, d'autres marchés dans le monde, dont l'Europe.
On ne peut pas douter en réalité que le développement et la recherche pour achever une nouvelle plateforme modulaire et travailler sur l'ingénierie des motorisations électriques, ait avancé dans le secret, bien que nous n'ayons aucune information officielle à ce niveau. Je comprends cela en tout cas quand je lis dans le communiqué de presse d'hier :
"Il est important de préciser que le niveau des actifs est nettement plus élevé que la dette"
NEVS s'est fait financer (sur le papier) par un accord avec un nouvel actionnaire et futur premier partenaire commercial - public, la ville chinoise de Qingdao. Via une société d'investissement, elle
devait investir plusieurs centaines de millions d'euros en fonction du programme d'avancement des recherches. Des problèmes politiques s'en sont mêlées puisqu'un grand nombre de représentants politiques locaux de la ville ont changé depuis et il semblerait que les liens avec le réseau de partenaires locaux de NEVS se soient quelque peu distendus. Le problème des fonds qui n'arrivent pas de Chine recommence donc...
2) Quelles sont les pistes envisagées par NEVS?
a- trouver un partenaire constructeur et un équipementier d'envergure pour avoir un soutien non seulement économique et financier mais aussi technique.
Depuis longtemps des rumeurs circulent sur Mahindra, rumeurs officiellement démentie à l'époque de la reprise des actifs de Saab. Ces rumeurs se font plus insistantes depuis quelques jours et Saabsunited les a évoquées ce soir sans trop de précaution. Cette rumeur - de discussions au minimum - avec le constructeur indien est confirmée par Saabsunited. En ce qui me concerne, ma source qui a des contacts directs avec le siège de Trollhättan me l'a confirmée également ce matin. Mais bon, et ensuite? Cela ne préjuge pas de l'issue dans l'immédiat. Wait and see donc...
b- régler le problème de trésorerie à court terme
En réalité, du fait de son partenaire et associé défaillant, la maison-mère de NEVS a du renflouer les caisses de NEVS à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros. Je ne suppose rien, c'est marqué d'ailleurs dans le communiqué d'hier. Il suffit de faire un rapide calcul avec un salaire moyen de 5.000€ fois 400 personnes. Le coût mensuel minimum hors les frais généraux sont de plus de 2 millions d'euros.
A ce stade, il est complètement normal et sans aucun doute prévu qu'il ne peut y avoir d'excédent de trésorerie généré par l'activité économique de NEVS puisque ils sont encore une Start'up qui n'a pas de produits finis, ni de réseau commercial à même d'enclencher la vente de masse.
En réalité, il s'agit dans ce communiqué catastrophique d'un sérieux avertissement donné à Qingdao aussi bien qu'autres investisseurs intéressés. Quelles sont les solutions de court terme? Un prêt bancaire? Cela n'est pas possible dans la mesure où le business model de NEVS n'est pas mûr et donc le remboursement par hypothèse n'est pas viable par le seul cycle d'exploitation. A part une stratégie de haut de bilan (augmentation de capital, intervention d'une banque publique de développement), j'ai du mal à voir comment ils vont régler leur problème de trésorerie à court terme autrement qu'en renflouant eux-même, en licenciant au besoin, et en limitant les frais.
c- une solution d'attente pour régler le litige avec Qingdao
NEVS veut - doit - s'attaquer en priorité au marché chinois. Il ne peut d'un revers de main mettre fin à son contrat avec une autorité chinoise, ne fut-ce t-elle qu'une ville. En même temps, il est probable qu'un investisseur comme Mahindra ne souhaiterait pas voir ses investissements partir en Chine. NEVS a construit une usine de batteries en Chine et a commencé à construire une deuxième en vue de l'assemblage final des Saab sur place. Autant dire que les investissements de la maison mère de Saab dépassent déjà très largement le milliards de dollars depuis la reprise par NEVS. On est loin devant, trèèèèèèèèèès loin, les quelques dizaines de milliers d'euros investis en cash par notre ex-ami hollandais Spyker. Et on ne peut pas douter des risques immenses pris par ce nouvel investisseur chinois.
d- des dettes impayées, une nouvelle faillite suédoise?
Non, pas de dette impayée à ce jour, des charges et obligations à terme comme toutes les entreprises. D'ailleurs l'un des soucis de NEVS vient d'un manque de confiance des fournisseurs qui sont réglés quasiment au "cul du camion".
Quant à la faillite, elle me paraît réellement inenvisageable car les brevets, la R et D, etc. tout ce qui a de la valeur est dans la société suédoise. Je rappelle que la 1ère levée de fonds en janvier 2013 a valorisé NEVS à plus d'un milliard de dollars. Si, comme on peut le penser, la plateforme Phoenix a pu être poursuivie voire achevée pour la partie architecture-chassis, il est peu probable que NME, la maison-mère de NEVS ait intérêt à mettre sa filiale en LJ mais plutôt à vendre ses actifs au meilleur prix. Donc, a priori, je ne vois pas de faillite venir ou, en tous cas, pas l'intérêt pour les actionnaires à faire ça. Contrairement à Spyker, NEVS a financé le rachat des actifs et la trésorerie courante (x centaines de millions d'euros) principalement sur ses fonds propres.
Le vrai risque serait de voir NEVS revendre la technologie achevée (sans le nom de Saab du coup) à un ou plusieurs tiers équipementiers ou constructeurs puis de dissoudre la société. Une sorte de "Roverisation" que notre
Frédéric craint depuis fort longtemps et, à ce stade, il a raison, le doute est permis hélas.
3) Pour conclure
Je continue de croire que nous sommes en présence d'investisseurs qui ont mis beaucoup d'argent et ont pris 1000 fois plus de risques que n'importe quel actionnaire de Peugeot ou Renault! Et c'est sans comparaison avec le précédent propriétaire de Saab, aussi charismatique était-il. Spyker avait les licences et l'outil de production et de commercialisation mais Spyker n'avait pas un rond.
Le business model de NEVS n'était néanmoins pas évident, ni achevé au moment où les liquidateurs des actifs de Saab Automobile AB ont pourtant décidé de leur attribuer l'offre.
Nous pouvons lire aussi que des noms de constructeurs de 1er rang (évoqués au moment de la liquidation de Saab) continuent de circuler.
En outre, les représentants des équipementiers et syndicats ont clairement déclaré aujourd'hui (via TTELA) qu'ils n'étaient pas inquiets par cette situation. Ce qui ne peut, après l'expérience de 2011, que signifier qu'ils ont des informations - confidentielles à ce stade - plutôt rassurantes selon eux.
S'il m'est difficile de croire aujourd'hui que les choses sont bien maîtrisées du côté des investisseurs, j'espère que les efforts de R et D sont restés soutenus, car,
comme je le soulignais d'un éditorial l'an dernier, c'est vraiment l'unique planche de salut de Saab
made in Trollhättan, c'est là le principal savoir-faire si difficile à acquérir pour les pays émergents et l'or noir qui permettra aux ouvriers de Trollhättan de continuer à travailler là-bas chez Saab et aux aisés consommateurs européens d'acheter de nouvelles Saab suédoises.